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Mystérieux canyons

22 avril 2014

Le professeur Patrick Lajeunesse avance une hypothèse pour expliquer la présence de canyons enfouis sous le lit de nombreuses rivières du Québec

Il y a environ sept ans, le professeur Patrick Lajeunesse, du Département de géographie, regardait un reportage sur la construction du barrage Daniel-Johnson dans les années 1960 quand une scène l'a frappé. On y voyait des travailleurs qui déblayaient les sédiments entassés dans un canyon situé au fond de la rivière Manicouagan, près du barrage Manic-5. «Les images étaient spectaculaires, se souvient-il, mais quelque chose clochait. La présence d'un tel canyon au fond d'une vallée en U ne concordait pas avec l'explication courante pour la formation des vallées glaciaires.» 

En effet, selon l'idée reçue, les vallées en U résultent de l'action érosive des glaciers sur le socle rocheux de vallées où coulaient d'anciennes rivières. «En théorie, les glaciers auraient complètement érodé et même surcreusé le socle rocheux de ces vallées. La présence de ce canyon près de Manic-5 suggérait que l'érosion glaciaire était moins importante qu'on le croyait.»

Intrigué par ce phénomène, le chercheur a voulu savoir s'il existait d'autres canyons de ce type au Québec. Pour répondre à cette question, il a exploité trois filons: des documents d'Hydro-Québec datant de 1958 à 2012 relatifs à la construction de barrages, des profils sismiques de l'estuaire et du golfe du Saint-Laurent dressés par la Commission géologique du Canada au cours des dernières décennies et les sondages hydroacoustiques qu'il a lui-même effectués avec son équipe du Centre d'études nordiques au cours des huit dernières années.

Résultat? «Il est fort probable que de tels canyons soient présents dans presque toutes les vallées en U de l'est du Canada et peut-être même dans les Rocheuses et dans d'autres régions du monde, avance le chercheur. Il y en a probablement dans les grandes vallées glaciaires de la région de Québec, soit celles des rivières Jacques-Cartier, Malbaie et Sainte-Anne.»

Au Québec, ces gorges auraient été formées avant les grandes glaciations il y a plus de 2,6 millions d'années. Leur taille est impressionnante: elles ont souvent plus d'une cinquantaine de mètres de hauteur et une trentaine de mètres de largeur. Au fil des millénaires, ces canyons se sont remplis de sédiments de sorte qu'ils sont aujourd'hui enfouis sous le lit des rivières. 

Leur présence a d'ailleurs causé des maux de tête aux ingénieurs d'Hydro-Québec pendant la construction de plusieurs barrages dont ceux des projets Manic, Outardes et Péribonka. «Les sédiments grossiers qu'ils contiennent sont perméables de sorte que l'eau pouvait s'écouler par ces canyons. À Péribonka, Hydro-Québec a embauché une firme allemande pour étanchéifier le canyon. À Manic-5, les sédiments ont dû être complètement enlevés, à grand coût, pour permettre l'installation des caissons en béton.» 

Si ces canyons ne sont pas le résultat d'une érosion sous-glaciaire, comment expliquer leur formation? Dans l'édition de mars-avril du Geological Society of America Bulletin, Patrick Lajeunesse avance l'hypothèse qu'il s'agirait de vestiges d'anciennes vallées de rivières qui n'ont pas été érodées lors des grandes glaciations. Ces rivières appartenaient à un système fluvial qui aurait pu s'étendre du Labrador jusqu'à l'Ouest canadien. Les profondes incisions creusées dans le roc suggèrent qu'à cette époque lointaine, il y avait un grand dénivelé entre l'intérieur des terres et la mer. «Un fort gradient topographique pourrait expliquer comment les rivières sont parvenues à creuser des gorges de telles dimensions. C'est ce qu'on observe aujourd'hui dans les régions du monde soumises à une remontée tectonique. Plus la pente est forte, plus les rivières ont tendance à inciser le roc.»

Article par Jean Hamann paru dans le Fil des événements le 6 mars 2014

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